En période de Covid-19, quel financement pour le logement social en Afrique ?
Alors que le financement du logement social en Afrique est déjà fragilisé par l’incapacité des États à mobiliser les fonds nécessaires et à la frilosité du marché financier à participer au financement de l’habitat, l’avènement de la Covid19 n’a fait qu’aggraver cette problématique. Rencontre avec Baba DAO, ancien directeur général du Fonds de Garantie Hypothécaire du Mali. Grand spécialiste du secteur du financement de l’habitat à loyer modéré depuis une vingtaine d’années, il nous livre sa vision de l’impact de la pandémie sur la question du logement abordable.
Logement social en Afrique : une forte demande difficile à combler
Le boom démographique et l’évolution ont engendré une transformation profonde et rapide des sociétés dans le Sahel. Si en 2018, 41 % de la population du continent, soit 495 millions d’Africains, résidaient en milieu urbain, cette proportion devrait s’élever à 60% d’ici 2050, soit 1,2 milliard. « Dans certains pays sahéliens, le niveau d’urbanisation est ainsi passé de 2 % en 1950 à 25 % en 2010 (OCDE) », précise Baba DAO.
La question de l’accès à un logement décent est alors devenue un sujet central de développement. « L’amélioration de l’habitat a un effet évident sur les conditions de vie des populations, mais également sur leur santé, leur accès à l’éducation, leur patrimoine, leur sécurité et leur capacité à se projeter », ajoute ce spécialiste du financement de l’habitat. Mais voilà, le coût pour couvrir les besoins de logements de l’Afrique subsaharienne, est estimé à 65 milliards de dollars. Les pouvoirs publics étant dans l’impossibilité de mobiliser un tel montant, l’implication de tous les acteurs concernés, publics comme privés, pour dégager des solutions innovantes de financement est indispensable. Malheureusement, le secteur financier traditionnel reste réticent à financer l’habitat dans ces pays. Il perçoit, en effet, cet investissement comme volatile et risqué. Pour les ménages, les contraintes d’abordabilité, de solvabilité et d’accessibilité constituent les principaux freins à l’accession massive au crédit bancaire.
Le secteur du logement et son financement fragilisés par la Covid 19.
Au Mali, comme ailleurs en Afrique et dans le reste du monde, la Covid 19 a mis à mal l’activité économique. Le bâtiment n’a pas été épargné et partout dans le pays, les travaux de construction de logements ont dû être arrêtés. « Si la difficulté à faire appliquer les gestes barrières est une des raisons de ce coup d’arrêt, le manque de financement en est la principale », confie Baba DAO. En effet, bien que des mesures aient été prises par le gouvernement pour favoriser la reprise économique, les secteurs du BTP et de l’habitat en ont très peu bénéficié.
« Les pouvoirs publics doivent absolument intervenir. Pour accompagner les entreprises de ces secteurs très fragilisées par la pandémie, il est urgent que des mesures financières soient prises pour les aider à reprendre leur activité » admet l’ancien DG du FGHM avant d’ajouter : « Pour autant, le financement seul des sociétés du bâtiment ne suffira pas. Pour rétablir les capacités de financement de l’habitat, il faut absolument que des décisions soient actées en faveur de la solvabilité des ménages. Il n’est, en effet, pas possible de financer du logement sans s’assurer que les personnes qui vont en bénéficier seront en mesure de rembourser leur crédit. La relance du secteur est donc tributaire de mesures favorisant le retour à l’emploi des accédants à la propriété, l’insertion des populations demandeuses de logement. »
À un niveau supérieur, l’UEMOA devrait elle aussi jouer un rôle. Pour autant, même si depuis deux ans, l’organisation semble se saisir de la question et organise dans chaque pays membre un état des lieux des besoins en logement pour ensuite réfléchir à des mécanismes de financement adéquats, aucune réponse concrète n’a pour l’instant été avancée.
Quels financements pour le secteur du logement ?
Le financement de l’habitat doit aussi faire face à la méfiance des marchés financiers, en cause la non-solvabilité de la population auxquels s’adressent les logements, les taux d’intérêt pratiqués et les mesures de garantie à mettre en place.
« Des initiatives ont bien été prises au niveau de la microfinance, mais celles-ci ont seulement consisté à aider les ménages en leur octroyant de petits prêts successifs », complète Baba DAO.
La diaspora africaine en Europe et ailleurs dans le monde est une perspective de financement encourageante. De tout temps, cette dernière a œuvré pour financer l’accès à l’habitat dans leur pays d’origine. Intéresser cette cible solvable pourrait permettre de répondre à une partie de la demande locale en logement en lui faisant bénéficier de meilleurs systèmes de financement. Mais le cadre du secteur financier précise que : « Faire appel à la diaspora africaine sous-entend tout de même de mettre en place des mécanismes adaptés. C’est ainsi qu’au Mali un système de financement pour la diaspora africaine aux États-Unis est actuellement à l’étude. Mais là encore, l’avènement de la Covid ayant également touché les affaires de ces familles, certains projets ont été mis à l’arrêt ».
RHF, une instance fédératrice
Interrogé sur le rôle joué par RHF dans la problématique du financement du logement en Afrique, Baba DAO répond : « Dans le débat du financement de l’habitat dans les pays francophones, RHF tient une place prépondérante. Elle permet de fédérer les acteurs du logement de ses pays membres autour de préoccupations communes plutôt que de laisser chacun travailler seul dans son coin. L’association aide aussi les institutions liées au logement à faire entendre leur voix, à porter leur parole au plus haut niveau des États. Après la crise de la Covid 19, RHF semble devoir plus que jamais faire office de rassembleur, de fédérateur autour d’une cause collective, celle de l’accès au logement du plus grand nombre. »
Dans les mois à venir, il faudra donc non plus débattre, mais bien prendre des mesures concrètes au profit du financement du logement social, de la relance économique et du retour à l’emploi. Institutions financières et pouvoirs publics vont aussi devoir trouver ensemble des solutions de financement pérennes pour accompagner les populations vers l’accès à la propriété.