Les libanais n’avaient certainement pas besoin de cela ! Et pourtant, l’explosion du 4 août 2020 à Beyrouth a touché plus de 200 000 logements, plongeant des dizaines de milliers de ménages, déjà mal-logés avant la catastrophe, dans une situation de grande précarité. Alors que depuis près de 30 ans les problématiques de l’habitat dans la capitale sont esquivées par les gouvernements successifs, et qu’il n’existe même plus de ministère dédié depuis l’an 2000, comment le pays peut-il se relever d’un tel drame ?
Un déficit structurel de logements abordables
Mis en place en 1939 et renouvelé à la sortie de la guerre civile en 1992, le contrôle des loyers constituait un système de régulation du marché immobilier très relatif face à une crise du logement particulièrement visible dans la capitale. Comme l’explique l’urbaniste Bruno Marot, « le parc de logements anciens aux loyers bloqués a longtemps joué le rôle d’un système de logement social de fait à Beyrouth et dans les principales villes libanaises ». Ce blocage des loyers représentait en effet un filet de protection sociale pour de nombreuses familles aux ressources limitées. Il garantissait également une certaine mixité sociale dans de nombreux quartiers de Beyrouth exposés à une forte pression foncière et immobilière. Toutefois, ce système proche de la loi de 1948 en France faisait payer aux seuls propriétaires, parfois désargentés, l’absence d’une réelle politique sociale de l’habitat. Ces loyers bloqués échappant à l’inflation, à l’évolution du prix du marché et à l’effondrement de la livre Libanaise sont synonyme pour les bailleurs de loyers dérisoires et lourds de conséquences dans un parc résidentiel datant en grande partie d’avant 1975 : une incapacité d’investissement provoquant des situations de vétusté et d’insalubrité avancées des bâtiments, qui engendrent des conditions de vie indignes.
C’est dans ce contexte que, le 1er avril 2014, le parlement enclenche le processus de suppression du blocage des loyers sur un principe de rattrapage progressif pour atteindre le niveau de prix actuel sur le marché. Mais les mécanismes clés de cette réforme, basés sur une revalorisation déséquilibrée des loyers et un fond de compensation irréaliste pour les familles en difficultés, n’apporteront aucune alternative en matière de logement abordable, mettant de nombreux ménages modestes dans une situation de précarité renforcée.
Après un boom immobilier très puissant dans les années 2000, et sur fond de guerre en Syrie voisine et une arrivée massive de réfugiés, tout particulièrement à Beyrouth, la hausse des prix des logements, à l’achat comme à la location, est bien plus rapide que celle du revenu de ses habitants. Les biens fonciers et immobiliers devenant des instruments d’attraction, d’accumulation et de recyclage des capitaux, l‘industrie immobilière et bancaire se retrouvent donc les bénéficiaires majeures de cette nouvelle loi, contribuant ainsi à la croissance de l’économie et à la stabilisation du système financier au détriment de leur premier usage : loger les ménages.
Alors que le Liban s’enfonce : Le drame à Beyrouth…
C’est enlisé dans une crise économique, sociale et financière que la capitale Libanaise doit faire face à la pandémie mondiale de Covid-19 : l’inflation atteint des taux records et ceux qui doivent payer un loyer rencontrent désormais des difficultés à se nourrir. Avec le confinement et l’impossibilité d’aller travailler, la pauvreté des Beyrouthins atteint son paroxysme. « On voit des gens fouiller dans les poubelles pour trouver de quoi manger. Des groupes se sont constitués sur Facebook où les gens échangent des vêtements contre des couches pour leurs bébés, d’autres échangent leurs meubles, les jouets de leurs enfants contre un peu d’argent pour pouvoir manger. La situation est vraiment catastrophique », alerte en juillet dernier Bujar Hoxha, directeur de CARE au Liban.
Et, alors que les Libanais voient leur vie basculer chaque jour, l’explosion du 4 août dernier compromet les espoirs d’amélioration. Outre les 177 morts au moins et les plus de 6500 blessés, les dégâts matériels sont apocalyptiques, en particulier dans les quartiers d’habitat ancien situés près du port où nombre d’habitants ne peuvent plus accéder à leur logement endommagé ou détruit. Si la majorité des familles sont hébergées par leur entourage, d’autres sont relogées dans des établissements d’urgence ou des lieux de culte qui ont ouvert leurs portes au lendemain du drame.
Mais au Liban, même face à une urgence ultime, il est hors de question de mettre des gens dans des tentes évoquant le sort des réfugiés, mais aussi l’occupation du centre-ville par les opposants au régime en mars dernier. Si la priorité est pour le moment ai déblaiement, à la sécurisation et à la réintégration d’un maximum de personnes dans leur logement, la question du devenir des quartiers détruits va rapidement se poser dans un contexte économique et social déjà très tendu. Dans des logements déjà vétustes et désormais inhabitables, les Libanais cherchent désespérément des solutions de sortie de crise.
Une reconstruction immobilière et sociale indispensable.
Si, à peine deux semaines après cette explosion qui a décimé le cœur de Beyrouth, il est difficile de parler de reconstruction, ce sont précisément les plus grandes crises qui ouvrent les opportunités pour penser à la transition vers le monde d’après. L’impasse du modèle actuel libanais révélé au grand jour oblige à identifier les décisions qui ont amplifié la crise afin de mettre en œuvre des solutions quantitatives et qualitatives contribuant à relever le défi de la reconstruction.
Ainsi, il est urgent et indispensable de mettre en place des outils législatifs et financiers qui proposeront des réponses à l’accès au logement au plus grand nombre. En décembre 2017, l’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth et de la Fondation Konrad Adenauer avaient déjà évoqué une possibilité d’accélération du développement des coopératives et la mise en place de quotas de logements abordables dans les nouvelles constructions. Par ailleurs, de plus en plus de voix s’élèvent pour la mise en place d’un système de logement locatif social dont le modèle économique et de gouvernance restent à imaginer.
En d’autres termes, pour une reconstruction juste et équilibrée du Liban, le logement social doit être la priorité absolue.